Cette thèse est motivée par la volonté de repositionner la facture instrumentale dans l’histoire de la technique pianistique. À l'intersection de l'acoustique musicale et de la musicologie, une approche unifiée est proposée, tirant parti de la tendance des deux disciplines à confronter plus directement leurs démarches de recherche avec la pratique musicale. En acoustique musicale, les propriétés mécaniques et vibro-acoustiques particulières des pianos historiques, appelés par convention fortepianos ou pianofortes pour les distinguer de leurs homologues modernes, suscitent un intérêt croissant. Cependant, la description physique de la production sonore nécessite de mettre en lumière le rôle indissociable des musiciens. Sur le plan musicologique, les performance studies examinent les styles d’interprétation et les techniques de jeu du point de vue de leur histoire. En complément de leurs observations, ces études peuvent s’intéresser à la démarche authentiquement artistique à travers laquelle l’interprétation historiquement informée ou HIP (Historically Informed Performance) a revisité l’exécution musicale sur les instruments historiques. Parmi les sources mobilisées par la HIP musicale pianistique, les fortepianos ont occupé historiquement une place centrale, étant perçus comme indiquant eux-mêmes le chemin pour la reformulation de leur jeu. En revanche, cette thèse met les pianistes au centre de l’étude, s’articulant autour du piano mais ne le considérant que du point de vue de leur interaction. Des discours de pianistes sont recueillis et analysés, montrant que le médium de cette interaction est pour eux le geste musical. Cet objet cognitif rassemble, d’une part, l’action des musiciens en situation de jeu, qui incarne leurs intentions musicales, et, d’autre part, leur perception, qui en est informée. Les actions ancillaires de pianistes en situation de jeu sont capturées et analysées, mettant en évidence la prévalence de comportements idiosyncratiques sur ceux qui dépendent de l’instrument joué, notamment au niveau de l’angle formé par le poignet. Ces observations ouvrent une nouvelle voie dans l’étude de l’interprétation musicale basée sur la signature cinématique de chaque instrumentiste, reflet de sa conception interprétative singulière. Finalement, une analyse mécano-acoustique de pianos est conduite, soulignant les avantages d’une intégration explicite dans son élaboration des paramètres de contrôle instrumental, notamment la masse engagée pour enfoncer les touches. Cela permet d’associer l’influence de la conception que se fait l’instrumentiste du rapport entre le style d’interprétation de l’œuvre et la technique de jeu de l’instrument.