L’île est le lieu principal des trois œuvres mauriciennes de J.M.G. Le Clézio (Le Chercheur d’or, Voyage à Rodrigues, La Quarantaine) et des deux Vendredi de Michel Tournier (Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Vendredi ou la Vie sauvage). Un imaginaire spatial puissant, éclairé par la géographie littéraire et par l’étude du langage symbolique, jaillit des profondeurs de la psyché des écrivains, influencés par leur passé personnel et atavique. Nous défendons l’hypothèse que l’insularité impose ses lois aux personnages aussi bien qu’à l’écriture. L’île est en effet le foyer de la dynamique narrative : à mesure que se prolonge leur séjour dans un site d’abord hostile, les personnages, détournés du but initial de leur voyage, établissent un rapport plus harmonieux avec leur environnement ; l’espace se spiritualise et leur regard se tourne vers la nature élémentaire. Ainsi, les romans proposent d’expérimenter un mode de relation, qu’on dira insulaire, au monde, aux autres et à soi-même : la quête menée à la surface de l’île se transforme en quête de soi et des profondeurs de la terre, guidée par des figures initiatrices qui aident leurs compagnons à surmonter le temps pour concevoir l’espace dans son état primordial. L’adjectif insulaire peut s’étendre finalement au mode particulier que l’écriture elle-même adopte en cette quête, les écrivains dialoguant avec une tradition littéraire et se faisant à leur tour initiateurs de leurs lecteurs : Tournier découvre la perfection littéraire dans une écriture pour les enfants qui modèle les ouvrages postérieurs au second Vendredi ; Le Clézio trouve dans l’espace insulaire son territoire ancestral et le lieu idéal de sa littérature.