Dans le courant des années soixante, Jerzy Grotowski et son Théâtre Laboratoire sont passés de la marginalité à la renommée internationale et à la polarisation du champ théâtral, donnant naissance à tout un réseau interconnecté de créateurs, d'acteurs, de théoriciens et d'anthropologues rassemblés autour des liens entre théâtre et rituel. Dans le sillage de Grotowski ont émergé de nouveaux champs disciplinaires comme l'Anthropologie Théâtrale d'Eugenio Barba, et les performance studies dont Richard Schechner, nourri par sa rencontre avec Victor Turner, fut l'architecte principal. Cette « tribu » interculturelle naissante s'est tissée autour de la pratique de l'Odin Teatret et de son « peuple secret », du Performance Group de Richard Schechner, et d'une myriade d'autres constellations de créateurs liés les uns aux autres par des vecteurs interpersonnels et humains. Au tournant des années soixante-dix, Grotowski annonça son départ du théâtre, et prolongea son aventure pendant trois décennies, loin des regards extérieurs, dans l'espace liminal de la forêt polonaise, ou dans l'isolement de son Workcenter à Pontedera – à travers le parathéâtre, le Théâtre des Sources, le programme Objective Drama et l'Art comme véhicule. Toutefois, malgré cet ésotérisme apparent, malgré la brièveté fulgurante de la présence du Théâtre Laboratoire sur les scènes internationales, et malgré le peu de spectateurs-témoins ayant eu l'opportunité d'y assister, la tradition à la fois retrouvée et inventée par Grotowski continue de fasciner et de nourrir la pratique théâtrale contemporaine, et de se transmettre par des moyens humains et incarnés. L'objet de cette thèse est d'étudier l'arborescence de ces réseaux et de ces constellations qui furent à la source de cette tradition, d'interroger leur relation au rituel, et de mettre en lumière leur vitalité dans le monde contemporain.