Dans l'Égypte ancienne, le cœur était considéré comme le siège de la raison, de la mémoire et des émotions. Quelques siècles plus tard, des données en psychophysiologie ont confirmé le rôle des signaux cardiovasculaires dans les processus mentaux. Dans quelle mesure et selon quelles conditions l'adaptation cardiovasculaire est susceptible de contraindre la cognition ? L'adaptation cardiovasculaire est indexée par la variabilité du rythme cardiaque qui reflète l'efficacité du système nerveux autonome dans l'adaptation de l'organisme aux contraintes situationnelles. L'originalité de cette thèse de doctorat consiste à réunir les données collectées sur la relation entre l'adaptation cardiovasculaire et la cognition avec les approches incarnées de la cognition pour générer de nouvelles hypothèses qui ont fait l'objet des trois études présentées ici. Les approches incarnées de la cognition offrent une grille de lecture qui introduit (1) la cognition comme étant ancrée dans un couplage dynamique entre l'organisme et son environnement, (2) la notion de représentations émergentes et (3) l'importance des mécanismes cognitifs contraignant ces représentations cognitives. La variabilité du rythme cardiaque comme indice d'adaptation cardiovasculaire devrait jouer un rôle dans la performance cognitive à une tâche, particulièrement durant le couplage entre l'organisme et cette tâche. Ainsi, les modulations de variabilité du rythme cardiaque in situ prédiraient davantage les performances à une tâche cognitive que la variabilité du rythme cardiaque au repos. L'Étude 1 indique que les modulations de la variabilité du rythme cardiaque lors d'une tâche de prise de décision prédisent davantage la performance à cette tâche que la mesure au repos.L'avantage des approches incarnées est également d'offrir une vision de la cognition comme l'émergence de représentations cognitives dynamiques contraintes par des mécanismes cognitifs mobilisés lors du couplage entre l'organisme et certaines contraintes situationnelles dans un objectif d'adaptation de l'organisme à l'environnement. La variabilité du rythme cardiaque pourrait participer à la cognition uniquement lorsque la tâche entraîne des contraintes stituationnelles suffisamment élevées et implique des processus d'auto-régulation. Dans une tâche de discrimination mnésique, l'Étude 2 teste l'association entre la variabité du rythme cardiaque et la performance en manipulant les contraintes associées à la tâche (écart perceptif entre les cibles et les leurres faible vs. élevé). Les résultats révèlent que la variabilité du rythme cardiaque prédit positivement la performance mnésique uniquement dans la condition impliquant de fortes contraintes cognitives (faible écart perceptif).Les processus perceptifs seraient fondamentalement inséparables de l'action et de la motricité. L'intégration des capacités d'autorégulation peut être mesurée par l'intéroception qui correspond à l'intégration cérébrale des signaux provenant de l'intérieur du corps. Selon une perspective incarnée, l'intégration intéroceptive de l'adaptation cardiovasculaire influencerait la perception visuelle liée à l'action. Les changements intéroceptifs du potentiel physiologique d'action (porter un sac à dos lourd) devraient contraindre la perception des possibilités d'action dans l'environnement (percevoir l'angle d'une pente de colline). En accord avec cette prédiction, l'Étude 3 indique que l'intégration intéroceptive lors du port d'un sac à dos lourd, prédit une surestimation de l'estimation de l'angle de pente de collines. Ces résultats empiriques ont été discutés et ont servi de base pour la proposition d'un modèle du rôle de l'adaptation cardiovasculaire dans la cognition qui propose que l'adaptation cardiovasculaire in situ participe à la cognition uniquement (1) lorsque la situation implique une intégration efficiente de contraintes, et (2) lorsque ces contraintes requièrent des mécanismes d'auto-régulation pour la réalisation de la tâche.