La conservation de la biodiversité représente un défi majeur de l’Anthropocène, ère durant laquelle les effets du changement climatique et de la dégradation des habitats se manifestent au sein d’une économie mondialisée et d’un contexte de montée des consciences écologiques. Les poissons migrateurs amphihalins sont particulièrement touchés par la crise d’extinction de la biodiversité. Ces espèces évoluent dans des milieux aquatiques variés, ce qui les expose à d’autant plus de difficultés. Les espèces d’anguilles (Anguillid spp.) en sont un exemple emblématique, notamment les espèces tempérées de l’hémisphère Nord. L’anguille européenne (Anguilla anguilla) a été la première à voir sa population chuter et elle est aujourd’hui classée comme espèce en danger critique d’extinction par l’UICN. Cette thèse a pour objectif d'évaluer l'efficacité d'une mesure spécifique de conservation sur ces espèces : le repeuplement. Une approche interdisciplinaire par le biais du cadre d’analyse des systèmes socio-écologiques y est mobilisée. Dans un premier axe, une revue de la littérature scientifique avec une méthodologie mixte de revue systématique et revue narrative a été réalisée, afin de faire l’état des connaissances sur l’efficience écologique du repeuplement de l’anguille comme action de conservation en lien avec les processus biologiques et écologiques. Cette revue met en lumière le manque de cohérence écologique pour les perspectives de conservation d’une telle mesure. Dans un second axe, la régulation de la consommation a été étudiée, en partant du principe qu’une réduction de la demande était nécessaire afin d’atteindre les objectifs de conservation et d’utilisation durable de la ressource. Une évaluation des préférences des consommateurs historiques de l’anguille, les japonais, en matière de politiques de gestion visant à la conservation des anguilles a été réalisée. La méthode des expériences de choix discrets nous a permis de distinguer trois classes parmi les consommateurs d’anguille japonais en fonction de leurs caractéristiques, de leur niveau de sensibilité environnementale et des types de politiques de gestion qu’ils voulaient favoriser. Dans un troisième axe, l'objectif a été de comprendre l'efficience du repeuplement en tant que système socio-écologique (SES) impliquant des interactions entre des facteurs écologiques, socio-économiques et institutionnels. Le cas d’étude de la pêcherie de civelles (juvénile de l’anguille) dans l'Unité de Gestion de la Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise en France a été choisi. Nous avons caractérisé ce territoire de gestion comme un SES en identifiant un ensemble de variables et reconstruit les interactions entre ces variables en nous basant sur la littérature existante et les résultats d'une enquête menée auprès des pêcheurs professionnels de la zone étudiée. Une modélisation qualitative de boucle a permis d'identifier des scénarios qui semblent viables à la fois sur le plan écologiques et socio-économiques, tous impliquant la mise en œuvre de mesures visant à réduire la pression de la pêche sur la ressource en civelles. Cependant, il est essentiel d'évaluer de manière critique les implications de ces scénarios, en particulier lorsqu'ils entrainent un report de l'effort de pêche sur des espèces complémentaires pouvant également être soumises à de fortes pressions. D’autres scénarios impliquant les niveaux de capture et les revenus des pêcheurs ne semblent pas avoir d’effets concluants. Les résultats de cette thèse montrent que le repeuplement seul n'est pas une mesure de gestion suffisante pour reconstituer les populations d'anguilles. Des mesures de régulation de la demande sont nécessaires et attendues et la mise en place d’outils complémentaires de gestion visant à réduire l’effort de pêche sur la civelle pourrait permettre d’atteindre le double objectif de la conservation et de l'utilisation durable des anguilles en tant que ressources halieutiques.