Qu’est-ce que Don Quichotte aurait en commun avec Mme Bovary ? Certains ont compris qu’ils se prennent tousdeux pour les personnages des romans qu’ils lisent voracement. À travers ces cas, quoique lyriques, le genreromanesque met en évidence sa capacité à imposer des modèles de comportement, à transformer la personnalitédu lecteur, à susciter en lui une reconstruction identitaire. Dans ce travail, nous nous proposons d’étudier ce pouvoiret de le prouver à travers le cas du roman turc de la première décennie républicaine. C’est à ce moment-là, entre1923 et 1933, sous le régime de Mustafa Kemal, que convergent en Turquie les courants qui se disputent depuisquelques décennies la nouvelle identité des Turcs, après l’effondrement du modèle de société ottoman, basé sur lesentiment religieux. Face à cette situation de reconstruction identitaire, quel rôle joue donc le roman de la période,d’autant plus qu’il traite systématiquement de la transformation sociale du pays ? Pour y répondre, nous étudionsles trames, les thèmes récurrents et les personnages de près de quatre-vingt romans, desquels nous avons extraitles modèles de société qu’ils défendent et le rapport qui les relie à l’actualité. Par ailleurs, nous consacrons une placeau symbolisme des espaces qui sont associés aux référents identitaires en jeu : Fatih, l’univers traditionnel, Beyoğlu,l’Istanbul occidentalisée, et l’Anatolie, source d’inspiration nationale. Le travail se conclut par une étude sur laposture du roman vis-à-vis de la condition des femmes, indicateur du niveau de progrès atteint par la société, et duprototype de femme que la production romanesque de la période préconise.