Les études littéraires américaines transnationales se sont récemment intéressées aux spécificités des œuvres diasporiques dans une perspective féministe, en envisageant les questions d’hybridité culturelle et les enjeux éthiques de cette écriture. Toutefois, une moindre attention a été accordée à l’expression d’affects négatifs dans cette littérature contemporaine de migration et de post-migration des années 1990 à nos jours et, notamment, à la manière dont ces textes répondent au trope de la « bonne migration ». Cette thèse dessine une généalogie des sentiments négatifs dans dix œuvres dont la dissidence politique se traduit en une tonalité asociale et amorale qui remet en question un devoir national de bonheur. Cette tradition littéraire s’incarne dans des œuvres de Sandra Cisneros, Jamaica Kincaid, Jhumpa Lahiri, Chimamanda Ngozi Adichie, Jenny Zhang, Zinzi Clemmons, Myriam Gurba et Cathy Park Hong. Le ton particulier qui caractérise ces textes est mis en en relation avec le spectre émotionnel normatif dicté par la politique migratoire états-unienne, ainsi qu’avec la pluralisation de la notion de différence dans le débat théorique féministe contemporain. La démarche emprunte au concept de « structure de sentiment » du critique marxiste Raymond Williams, aux théories féministes, et aux études sur l’affect et sur les discriminations raciales. Nous analysons comment les autrices introduisent des émotions produisant désunion et distance dans des genres littéraires hégémoniques pour mettre en images une communauté structurée par la différence. L’affectivité ambivalente et conflictuelle leur permet aussi d’interroger les injonctions et les complexités morales qui pèsent sur l’expérience minoritaire.