L'anguille européenne (Anguilla anguilla) présente un cycle de vie complexe avec un stade civelle qui remonte les estuaires pour atteindre les rivières et entamer une phase de croissance. Cependant, cette migration estuarienne est connue pour être facultative, certains individus s'installant en mer, en estuaire ou alternant les séjours en rivière et en estuaire. Les civelles ne se nourrissent pas ou peu pendant leur migration et leurs schémas migratoires pourraient donc être étroitement associés aux réserves énergétiques des individus. La migration facultative des civelles pourrait donc reposer sur une stratégie conditionnelle, les individus présentant d’importantes réserves d'énergie ayant une capacité migratoire élevée. Cependant, certaines études s’avèrent contradictoires et l’objectif de cette thèse était d'étudier la stratégie conditionnelle chez les civelles européennes en se basant non seulement sur les réserves d'énergie mais également sur la mobilisation de l'énergie (métabolisme et expression des gènes liés à l'énergie). L’essentiel des travaux a été mené à la fois sur des civelles d'automne et de printemps, car elles présentent d’importantes différences de réserves énergétiques. Nous avons tout d'abord caractérisé le statut énergétique individuel des civelles marines échantillonnées en automne et au printemps et l’avons relié à leur comportement migratoire évalué dans des installations expérimentales. Les civelles d'automne présentaient des réserves énergétiques plus élevées et une plus grande capacité à produire de l'énergie que les civelles de printemps. Ces résultats confirment que les civelles d'automne et de printemps présentent de fortes différences dans leur statut énergétique et qu'elles doivent être étudiées séparément. Nous émettons l'hypothèse qu'il pourrait exister un seuil énergétique en dessous duquel la migration pourrait être conditionnée par ce facteur. Afin de mieux comprendre les mécanismes de sédentarisation dans les estuaires, la relation entre le statut énergétique et le comportement migratoire des civelles marines et estuariennes a ensuite été étudié parallèlement en automne et au printemps. Nos résultats soutiennent l’hypothèse d’une stratégie conditionnelle basée sur l'énergie lorsque les réserves énergétiques deviennent un facteur limitant (civelles de printemps). La perte de poids, la mesure du métabolisme et l'expression de gènes liés au métabolisme suggèrent également que les civelles estuariennes étaient plus stressées et avaient une capacité de production d'énergie plus faible que les marines. Les civelles non synchronisées au courant (considérées comme ayant une faible probabilité de migration) présentaient une dépense énergétique plus élevée que les individus synchronisés, ce qui pourrait refléter un stress et/ou une vulnérabilité au stress plus élevés chez les premières. Afin de tester cette hypothèse, des civelles ont été exposées à un facteur de stress potentiel dans les estuaires, à savoir le méthylmercure (MeHg), et les effets de ce contaminant sur le comportement migratoire et le statut énergétique des individus a été étudié. Nos résultats mettent en évidence une diminution de l’activité de nage chez les civelles non synchronisées mais pas chez les synchronisés, suggérant que les premières pourraient être plus sensibles au MeHg. Puis, les civelles non synchronisées présentaient un niveau d'expression des gènes du métabolisme inférieur à celui de leurs homologues synchronisées dans la tête et pas dans le muscle ni dans les viscères. Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse suggèrent que le statut énergétique et la sensibilité au stress pourraient conditionner la migration estuarienne des civelles mais les mécanismes sous-jacents et les relations entre ces facteurs ainsi qu’avec les horloges endogènes qui contrôlent la migration restent à élucider.